Entretien avec Vincent A. Karche, ténor,
fondateur du projet « Anariskwa Aventure Lyrique et Nature »
Vincent Karche, qui a enseigné au Centre de formation de musiciens intervenants (CFMI) de Sélestat, pratique des approches qui permettent aux étudiants d’« acquérir un rapport étroit avec son corps et son souffle », encourageant « un chant dont l’interprétation est issue de l’incarnation et la mémorisation corporelle plutôt que de la stricte construction intellectuelle ou mentale ». Nous présentons ici un court entretien. Nous remercions Vincent Karche de sa disponibilité et de son accord à publier ces échanges.
Durant la formation au CFMI de Sélestat, quelles sont les compétences que doivent acquérir les musiciens intervenants dans la maîtrise de la voix et dans leurs pratiques vocales collectives auprès des élèves ? Quelles sont les approches que privilégiez-vous ?
Chacun des étudiants doit pouvoir acquérir un rapport étroit avec son corps et son souffle. De nombreuses explorations sensorielles seront utilisées comme bases de l’exploration vocale. Pour cela, la notion de lâcher prise par la découverte de gestuelles appropriées sera cultivée. J’accorde beaucoup d’importance à la détente qui permet une respiration centrale et un chant vibratoire plutôt que musculaire. Cela se fait au milieu d’exercices ludiques et créatifs qui seront ensuite proposés dans leur propre transmission auprès des élèves (étirements « lac des cygnes », vocalise « soupe aux choux », préparation corporelle « du gorille », geste corporel pour chaque mot d’un chant, etc.). Ainsi apparaît un chant dont l’interprétation est issue de l’incarnation et la mémorisation corporelle plutôt que de la stricte construction intellectuelle ou mentale. Pour être plus précis, par exemple, la vocalise dite « soupe au choux » consiste à faire un travail sur les lèvres et la langue, une sorte de belebelebelebele très rapide, en balayant la tessiture vocale du grave à la voix de tête (comme le fait le personnage extraterrestre du film homonyme de Jean Girault de 1981). Cela fonctionne très bien avec les enfants ! Autre exemple, l’étirement « lac des cygnes » est un simple étirement corporel qui démarre genoux légèrement fléchis, un peu à la manière d’un danseur, et qui sous la poussée des pieds dans le sol va voir se déployer les bras vers le ciel. La préparation corporelle du gorille, comme on peut aisément l’imaginer, est un balayage corporel de la cage thoracique et du dos par de brefs tapotements toniques.
Dans les projets conçus et préparés par les étudiants dumistes pour les classes de l’école primaire, de quelle manière l’utilisation de la voix – dans toutes ses ressources sonores (souffles, cris, bruits, jeux vocaux…) et pas uniquement la voix chantée – peut-elle être mise au service de la création musicale ?
Dans le cadre des cours de technique vocale, on utilise effectivement toutes sortes de jeux de souffle, de bruits, de mimes, voire même de création d’histoires parle dessin pour venir nourrir la création musicale et vocale. Un jeu de création de chansons a été élaboré (étiquettes, tirage au sort, scénario…).
Brièvement, voici quelques précisions : je demande à ceux qui vont créer (enfants ou animateurs/enseignants) quels sont, d’après eux, les ingrédients pour inventer une chanson. Souvent ils me répondent une histoire, une mélodie. A partir de là on construit différentes étiquettes où l’on place les éléments de base : lieux, personnages, temporalité, actions, mots clés, sentiment, humeur… pour l’histoire ; ternaire/binaire, tempo, caractère…. pour la musique. Chaque équipe ou individu tire au sort un élément dans chaque catégorie, et cela donne par exemple : « Un poisson rouge et un ours blanc font un tour sur la lune et mangent un mille feuilles » (Musique ternaire, andante). Ensuite, je demande si l’un des enfants/enseignants a envie de nourrir la création par un dessin. Puis je propose un exercice de mime, de façon à rendre la création corporelle.
Un scénario se dessine peu à peu ainsi que des façons d’exprimer musicalement chaque personnage… Jusqu’à la chanson finale.
Comment la voix peut-elle aider les enfants à découvrir et exprimer leur rapport au geste corporel, à leur corps dans l’espace, bref à activer et à développer chez eux des qualités psychomotrices ?
La voix et le corps s’accordent à travers le mouvement sensoriel. Voix libre implique corps libre, et réciproquement. La découverte de ces interactions peut être extrêmement encourageante et stimulante pour les enfants : constater ce qui se passe vocalement si on fait la « hola » des stades de foot, si on s’étire, si on se tient tous par la main, si on a respiré une branche de sapin juste avant de faire un son, si on pousse fort sur le mur, si on tire sur un arc ou une corde élastique…
A travers la coordination du geste dans la durée de la phrase vocale : par exemple, pour une proposition de vocalise en sirène dans un geste d’appui dans le sol (genoux fléchis) avec libération des bras (hola), je propose que l’aigu arrive au moment de la poussée maximale dans le sol. Quand je dis poussée, c’est dans le laisser faire, avec un balancier le plus élastique possible. Le geste a toujours une direction. Souvent, toujours dans cet exercice, la tendance est de laisser tomber le geste après le paroxysme de l’aigu. J’invite alors chacun à vivre le mouvement jusqu’au bout de la vocalise, même si la tessiture retombe. Voici un exemple de ce que j’appelle « coordination du geste ». J’aurais pu dire « accord du son avec le mouvement »
Propos recueillis le 7 juillet 2013 par Grazia Giacco,
MCF Musique et didactique de l’éducation musicale,
ESPE de l’Académie de Strasbourg, Université de Strasbourg